Entretient avec Syrine FEHRI à l'occasion de son intervention auprès des étudiants de CMH sur le thème des communautés virtuelles et réelles
EMC Club : Présentez-vous.
Syrine FEHRI : Syrine Fehdi, Je suis actuellement chargée de projets marketing au sein de la filiale européenne d’une banque marocaine, Attijariwafa bank. La particularité de cette banque est qu’elle vise des communautés ethniques, notamment les communautés marocaine, tunisienne et sénégalaise en France et dans d’autres pays européen. J’ai eu l’honneur aujourd’hui d’être invitée par Ouassel BAHRI à présenter les états de mes recherches et de mes expériences autour des communautés virtuelles et réelles de consommation et des communautés de passionnés de marque.
EMC Club : D’après vous pourquoi le business est intéressé aujourd’hui par les communautés ?
Syrine FEHRI : Il faut savoir qu’aujourd’hui une réelle préoccupation pour les marketeurs et pour les offreurs de quelque secteur que ce soit, que ce soit dans la grande distribution, mais aussi dans le luxe, sont ces groupes de consommateurs qui se réunissent autour de leur passion pour une marque ou leur passion pour une enseigne et qui échangent autour de ça, qui diffusent et qui communiquent à des membres et à des non-membres de la communauté de leurs expériences, leurs ressentis… Du coup, on voit que de plus en plus de marques créent des observatoires de ces communautés, plus de plus d’enseignes créent des observatoires de ces communautés, justement, à la fois pour essayer de maintenir le contrôle de leur image, parce qu’il faut savoir que ces communautés peuvent échanger positivement, mais également, négativement autour des marques et des enseignes, donc, pour métriser ou au moins savoir ce que se dit autour de leurs marques, mais également pour les utiliser comme moyen de communication. J’ai parlé tout à l’heure d’un cas qui était celui de Lucas film, qui a réduit de plus de moitié le budget de communication autour de la sortie de leurs dernière trilogie Star Wars ; en l’occurrence, le buzz a été déjà fait par la communauté des fans et des passionnés de ce produit culturel et il n’était plus nécessaire de dépenser plus de ce qu’il n’en fallait en terme de communication : le travail a été déjà fait.
Il y a aussi la partie co-production de l’offre. Les offreurs et les marketeurs s’inspirent des communautés, de ce qu’elles échangent, que ce soit dans la vie réelle, ou dans la vie virtuelle, autour de la marque, autour des produits, autour des nouveaux produits, en terme de spécificité de produit, d’avantages produit… C’est très applicable pour les produits technologiques. Microsoft, par exemple, fait tester leurs produits beta, leurs produits première version, par des communautés de fans de Microsoft, ce que leur permet à la suite des échanges, à la suite des remarques collectées, d’améliorer le produit, de le modifier, de l’adapter mieux à ces consommateurs qui sont les hard-core consommateurs, parce qu’ils sont fans de la marque, mais en l’occurrence par la suite cela a pu servir positivement à l’offre de ce produit pour tous les consommateurs en général.
EMC Club : Avez-vous étudié le domaine du luxe dans cette optique ?
Syrine FEHRI : Dans le luxe j’ai eu l’occasion d’observer quelques communautés qui se sont réuni autour de marques, telles que Luis Vitton, BMW ou Mercedes. Sont plus des communautés le plus souvent poussées par la marque. Il y a une problématique de contrôle de l’image de marque qui se pose beaucoup en ce qui concerne le luxe. Il y a beaucoup d’enseignes de luxe qui ont décidé de créer eux-mêmes des communautés au sein de leur propre site Internet pour les communautés virtuelles affin de pouvoir mieux contrôler ce qui ce dit, monitorer ce qui s’échange autour de la marque. Cela prouve que les enseignes de luxe se sont rendu compte de l’impact des communautés et du fait qu’il faut absolument s’y intéresser, les observer et échanger avec eux, et tenter de faire en sorte que l’image de marque ne soit pas trop affecté par des communautés spontanées qui se créeraient.
EMC Club : Un des thèmes abordés dans votre présentation était ‘opportunité ou menace pour la marque’… Les communautés de consommation sont-elles plutôt une opportunité ou une menace pour une marque ?
Syrine FEHRI : De part l’engouement pour une marque ou par l’engouement pour une activité de consommation, ou pour une enseigne, peut naître à la fois beaucoup de positif, beaucoup de communication positive, d’échanges positives, donc, par conséquent – un buzz marketing positif, mais également, beaucoup d’aversion à tout ce qui est lié au fait que l’offreur est là pour vendre la marque, et non pas pour l’aimer comme l’aiment les fans de la marque ou les fans d’une activité de consommation, et de ce fait, risque de dénaturer le produit, la marque, ses valeurs et les codes qui sont autour de ça.
EMC Club : Les professionnels du marketing sont toujours à la recherche de moyen de mesurer l’impact que génèrent les communautés autour d’une marque. Avez-vous une astuce ou une piste ?
Syrine FEHRI : Les méthodes les plus efficaces pour observer ou pour analyser le comportement d’une communauté de consommation sont l’ethnomarketing et l’ethnographie. Ce ne sont pas des méthodes quantitatives. Ils ne permettent pas la mesure du comportement, mais la détection du comportement. Démultiplier les observations sur plusieurs communautés permet de confirmer ou affirmer les comportements détectés. C’est pour cela qu’il a des observatoires de communautés de marque ou de communauté de passionnés d’une activité de consommation qui se créent au sein de plusieurs entreprises : il a Apple qui le fait, il y a Microsoft qui le fait, il y a Citroën qui le fait… Ces nouveaux postes de ‘community watcher’ qui se créent au sein des entreprises sont là pour surveiller ce qui se passe sur Internet, mais également, dans la vie réelle, en terme de regroupement autour d’une marque d’entreprise. C’est un outil dont peuvent disposer les entreprises aujourd’hui pour avoir une idée de l’impact sur une image de marque.
EMC Club : Les professionnels parlent des sites et médias sociaux ou communautaires comme des correctifs ; là où sur un site de marque il n’y a pas un formulaire de contact ou possibilité de communiquer avec la marque, les gens se retrouvent ailleurs pour critiquer la marque ou pour faire des commentaires.
Syrine FEHRI : Absolument, c’est tout à fait constructif de s’y pencher, parce que se sont des gens qui pour le coup, à la différence d’un questionnaire distribué à 1000 personnes qui sont consommatrice d’un bien ou d’une marque, et qui répondent à des questions figés qui sont décidés par quelqu’un de département marketing, sont des personnes que spontanément agissent et interagissent, avec un produit, et avec d’autres personnes qui consomment le même produit, à la fois. Cela permet de faire sortir ce qu’on appelle ‘des signaux faibles’. Ce sont des petites choses qu’on peut remarquer lorsqu’on observe un comportement de consommation, mais qui ne ressortiraient forcément pas dans questionnaire parce qu’on n’a pas pensé à poser la question ou parce que la question a été mal interprétée ou parce qu’il y avait que des choix de réponses que le répondant a coché et qui ne font pas ressortir ce que le répondant ressent vraiment ou ce qu’il a vécu réellement en consommant le produit.
EMC Club : Donc, vous voyez beaucoup d’avenir dans ce domaine de marketing ?
Syrine FEHRI : Je vois définitivement beaucoup d’avenir, en moins que la nature humaine ne change radicalement dans les années qui viennent, mais je pense que vivre des expériences ensemble, même autour d’une activité de consommation, autour d’un produit, ça fait aujourd’hui partie intégrante de la nature humaine de l’individu postmoderne que nous sommes tous.
Entretien réalisé par Daniéla Dalbokova.